Filipe Ceppas a publié a Rue Descartes son lecture de mon livre Linhas de Animismo Futuro:
Les neuf textes de Lignes d’animisme futur, de Hilan Bensusan, traitent des dimensions tentaculaires des animismes possibles, des sorcières aux cyborgs, des chamans aux monades de Leibniz, du Quibungo aux lucioles de Pasolini. En exposant et en analysant les perspectives d’un animisme futur, dans un dialogue étroit avec les thèses et concepts d’auteurs tels que Giorgio Agamben, Bruno Latour, Philippe Descola, Daniel Dennett, Eduardo Viveiros de Castro ou Galen Strawson (pour ne citer que les plus pertinents), Bensusan compose un travail vivant, dynamique, prismatique. Rejetant le format fade du « traité », l’ouvrage tisse ces différents fils en un essai compact, cohérent et organique. Ces métaphores vitalistes (« travail vivant », « essai organique ») renvoient à une dimension très animiste du travail, perceptible peut-être seulement de manière tangentielle : une dimension derridienne du langage, touchant le rapport entre écriture, forme et contenu : la force, la violence ou la trace de l’écriture et les apories de la paternité d’un texte.
S’il est bien une force qui traverse tout le livre, c’est, au sein des différentes perspectives animistes possibles, une attitude fabulatrice qui met en action les propriétés dispositionnelles de toutes choses. « Les animistes invoquent la possibilité d’une animation non-humaine, et c’est ce qui provoque un grand malaise, car invoquer cette possibilité, ce n’est pas simplement faire référence à une autre animation, c’est aussi souligner l’originalité d’une animation autre » (p. 23, traduction adaptée). L’animisme, pour Bensusan, implique donc une conversation et pas simplement une attribution de l’animation à ce qui est généralement considéré comme inanimé. Cette conversation élargit, complique ou désorganise les nous par lesquels nous nous identifions en tant que penseurs, agents, souverains. « Il est certes délicat d’attribuer à chaque non-humain la capacité de nouer des alliances ou de dialoguer avec une autre personne. L’attribution d’une animation n’est possible que si l’animation n’est pas en soi une abréviation de la vie humaine » (p. 24). Ou encore : « Considérer les éléments de l’animation humaine d’une manière qui ne la limite pas à l’expérience humaine est un exercice de spéculation – au sens d’un saut au-delà de l’expérience qui l’éclaire et lui donne un sens – guidé par un objectif de transversalité, dans lequel les catégories établies de l’expérience ne limitent pas celle-ci à ses catégories d’origine » (idem).
Le point de départ, qui explique immédiatement le séisme épistémique, métaphysique et politique de l’animisme, est la négation du naturalisme, de la distinction moderne entre une égalité physique humain/non humain (tout est composé ou partage des aspects physiques : matière, énergie, etc.) et une inégalité dans l’intériorité (seuls les humains ont de l’intériorité : agentivité, animation, conscience, liberté, etc.) ; ou encore la négation de la séparation entre le domaine du quoi, de la matière, du droit, de la nécessité, et le domaine du qui, des humains, de la liberté, de la souveraineté (ou celui qui est autorisé à reconnaître la souveraineté, l’arché ou le principe des choses). Un des mérites du livre de Bensusan est, pour ainsi dire, son économie fabulatrice. En effet, il ne se contente pas de passer en revue les animismes, en les présentant et en systématisant les perspectives de tant d’auteurs sur le sujet ; il les enchevêtre dans une argumentation fabulatrice, nous laissant entrevoir un autre texte où le primitif, le passé, le futur, les cyborgs, les sorcières et les lucioles nous disent ce que nous avons du mal à entendre.
« Mais certaines d’entre nous sont courageuses ». Bensusan nous montre que le courage d’entrer dans un « accord avec la politique des autres », de ces autres non-humains, n’a rien à voir avec le simple respect pour des conceptions animistes d’un « autre humain », les Indiens, les sorcières. À partir de Philippe Descola (p. 59-66) et de Daniel Dennett (p. 47-48), Bensusan soutient que l’animisme implique, bien sûr, une diplomatie et une bonne intention, une bonne intentionnalité, mais cela ne signifie pas une plongée dans le « New Age », dans une spiritualisation ou une sacralisation « de la nature », simple projection anthropomorphique d’un réel prétendument plus original – celle que font les naturalistes modernes sur les Indiens ou les sorcières, en croyant reconnaître dans leurs cultures un simple élargissement de l’humain à la nature. Dans les cas les plus inoffensifs, la perspective anthropomorphique permet une simple fuite du système et, dans sa version politique la plus courante, conserve la nature comme « objet de tutèle » (p. 29) : « […] ce n’est pas que l’environnement qui nous entoure doive être préservé ou que nous devions cesser d’entrer en conflit avec lui, mais il existe une demande de protagonisme qui remet en question la dimension même de la bulle d’animation que nous supposons habituellement » (p. 22).
L’animisme nous conduit directement au croisement de l’ontologie et de la politique et nous oblige à confronter la dissémination des âmes au-delà d’un autre de l’humain, d’un autre (toujours ? Inévitablement ?) conçu à partir de nos catégories humaines. Il s’agit d’« invoquer » cette dispersion, d’être disposé à parler à l’altérité de l’agentivité du nonhumain. L’opposition entre humains et non-humains semble inséparable de l’opposition entre nous (les êtres qui ont l’agentivité, la souveraineté) et eux (qui ne les ont pas). Certes, l’anthropologie, depuis toujours, a souligné de nombreux apprentissages philosophiques, ontologiques, épistémiques et politiques pour les Modernes : ceux que l’on trouve dans les analyses des totems, des dieux, des esprits, des orixás, des chamanes – indices de la complexité du « monde de l’autre » qui nous permet de mieux comprendre « notre monde » à travers de multiples miroirs. Mais le texte de Bensusan nous invite à penser que ces apprentissages ne se feront ni par la supposition de la présence d’un Autre métaphysique, hypostasié, ni par la simple interprétation de ce qui nous est étrange, au sens de l’Unheimlich : l’appellation même de la « pensée à l’état sauvage », par exemple, ne serait-elle pas déjà synonyme de domestication ? L’idée d’une conversation avec le non-humain radicalise la dimension politique et l’omniprésence du problème.
À travers une image, nous pourrions revenir à la question de la paternité, du texte, du mot et de la parole (qui n’est pas par hasard un thème central du livre La Chute du ciel de David Kopenawa et Bruce Albert, mentionné par l’auteur à la p. 63) et penser au lieu où le mot et sa lecture sont inséparables des débris anthropiques qui circulent dans chacun de nos gestes modernes : les restes ou traces de l’ordinateur, de sa toile ou du papier sur lequel est inscrite l’encre, l’encre elle-même, le niobium et toute matière souvent extraite de terres indigènes envahies et dévastées. Une politique du nous est toujours inséparable des matérialités et des intentionnalités, peu importe où nous sommes ou qui nous sommes ; matérialités et intentionnalités qui ouvrent et mélangent les frontières, celles entre l’esprit et la matière, l’humain et le non humain, l’agence et l’inanimé. Mais il ne s’agit pas de traverser des frontières entre types d’entités : « Il ne s’agit pas de séparer les choses les unes des autres, mais de se poser des questions de différentes manières, préférant ne pas parler de frontières, mais de masques, de camouflage, et insister sur le fait qu’il est de la nature de la nature d’aimer se cacher » (p. 48).
Cette ontologie animiste est déjà un différend politique et historique : « Cela semble être une chose du passé d’imaginer qu’il y a une politique à faire avec les loups, les renards, les baleines, les lits des rivières ou les glaciers » (p. 27). Du point de vue des naturalistes, l’animisme, communément appelé « simple anthropomorphisme », serait une chose du passé et aurait été définitivement dépassé par les sociétés modernes. Mais le passé est un récit en dispute perpétuelle pour les Modernes. Dans ce conflit des interprétations, l’analyse des Lignes d’animisme futur gagne une grande intensité politique, à partir de ses deux derniers chapitres, intitulés « Sans lucioles, sans abeilles : l’inanimé sous contrôle et comme catastrophe » et « O sumak kawsay des pirates ». Le désenchantement du monde, en tant que « processus graduel d’aliénation des populations humaines de son environnement », de prolétarisation, de gentrification, de migrations forcées, de colonisation et d’appauvrissement, élimine toutes les négociations possibles dans les relations traditionnelles que l’homme a toujours établies avec la terre, les loups, les baleines et les lits de la rivière, et nous pouvons facilement nous rappeler d’innombrables histoires littéraires qui abordent ce conflit, comme Croc-Blanc de Jack London (les loups), Moby Dick de Melville (la baleine) et O burrinho pedrês, de Guimarães Rosa (le lit de la rivière), où la morale minimale de l’histoire est que des choses horribles se produisent lorsque traiter avec le non-humain dispense de la négociation, de la lutte, de la diplomatie au nom de la domination, de la cupidité, de la possession.
L’animisme n’implique donc pas une simple défense des modes de vie traditionnels : il élargit l’importance des modes de vie « primitifs » ou « dépassés », dans l’idée d’une rupture avec une perspective historique linéaire où les choses, les humains et la planète elle-même sont soumis à un usage et à une propriété sans distinction, sans négociation, sans lutte, sans politique ; ou plutôt sous une politique de violence, de mort et de terre brûlée. Contrairement à la temporalité présupposée par les modernes, le passé, dans le cadre de la disposition des choses non-humaines, de ses dispositions authentiques, revient, n’arrête jamais de revenir (pourquoi l’appel aux ancêtres, où la multiplicité de l’expérience passée est ravivée comme un présent toujours négocié, serait moins « objective » qu’une description génétique ?). Mais le passé revient aussi sous forme de forces non négociables, inaudibles et destructrices contre lesquelles il n’y a pas de digues, d’abris, de techniques, ni même de codes ou de rites de lamentation (notez les histoires frappantes de Tchernobyl racontées par Svetlana Alexievich et commentées par l’auteur).
L’effort des derniers chapitres du livre ne consiste toutefois pas seulement à démontrer la plausibilité et l’urgence de l’animisme en tant que tranchée politique face à la catastrophe (ce qui risque toujours de faire retomber dans la perspective moderne consistant à concevoir la nature comme un élément à préserver pour nous). Il s’agit surtout de penser à la disponibilité (la disposition des choses, dans le dialogue avec le Ge-Stell de Heidegger), à l’usufruit (par opposition à l’utilisation), au territoire (par opposition à la propriété) et au corps en tant que zones de résistance et de recréation du politique. L’animisme performatif proposé par Bensusan ne consiste pas seulement à être attentif à l’agentivité ou aux « véritables dispositions » des choses considérées comme inanimées, mais aussi à la promotion de celles-ci sur le plan politique, en opposant le risque à la survie.
Les neuf textes de Lignes d’animisme futur, de Hilan Bensusan, traitent des dimensions tentaculaires des animismes possibles, des sorcières aux cyborgs, des chamans aux monades de Leibniz, du Quibungo aux lucioles de Pasolini. En exposant et en analysant les perspectives d’un animisme futur, dans un dialogue étroit avec les thèses et concepts d’auteurs tels que Giorgio Agamben, Bruno Latour, Philippe Descola, Daniel Dennett, Eduardo Viveiros de Castro ou Galen Strawson (pour ne citer que les plus pertinents), Bensusan compose un travail vivant, dynamique, prismatique. Rejetant le format fade du « traité », l’ouvrage tisse ces différents fils en un essai compact, cohérent et organique. Ces métaphores vitalistes (« travail vivant », « essai organique ») renvoient à une dimension très animiste du travail, perceptible peut-être seulement de manière tangentielle : une dimension derridienne du langage, touchant le rapport entre écriture, forme et contenu : la force, la violence ou la trace de l’écriture et les apories de la paternité d’un texte.
S’il est bien une force qui traverse tout le livre, c’est, au sein des différentes perspectives animistes possibles, une attitude fabulatrice qui met en action les propriétés dispositionnelles de toutes choses. « Les animistes invoquent la possibilité d’une animation non-humaine, et c’est ce qui provoque un grand malaise, car invoquer cette possibilité, ce n’est pas simplement faire référence à une autre animation, c’est aussi souligner l’originalité d’une animation autre » (p. 23, traduction adaptée). L’animisme, pour Bensusan, implique donc une conversation et pas simplement une attribution de l’animation à ce qui est généralement considéré comme inanimé. Cette conversation élargit, complique ou désorganise les nous par lesquels nous nous identifions en tant que penseurs, agents, souverains. « Il est certes délicat d’attribuer à chaque non-humain la capacité de nouer des alliances ou de dialoguer avec une autre personne. L’attribution d’une animation n’est possible que si l’animation n’est pas en soi une abréviation de la vie humaine » (p. 24). Ou encore : « Considérer les éléments de l’animation humaine d’une manière qui ne la limite pas à l’expérience humaine est un exercice de spéculation – au sens d’un saut au-delà de l’expérience qui l’éclaire et lui donne un sens – guidé par un objectif de transversalité, dans lequel les catégories établies de l’expérience ne limitent pas celle-ci à ses catégories d’origine » (idem).
Le point de départ, qui explique immédiatement le séisme épistémique, métaphysique et politique de l’animisme, est la négation du naturalisme, de la distinction moderne entre une égalité physique humain/non humain (tout est composé ou partage des aspects physiques : matière, énergie, etc.) et une inégalité dans l’intériorité (seuls les humains ont de l’intériorité : agentivité, animation, conscience, liberté, etc.) ; ou encore la négation de la séparation entre le domaine du quoi, de la matière, du droit, de la nécessité, et le domaine du qui, des humains, de la liberté, de la souveraineté (ou celui qui est autorisé à reconnaître la souveraineté, l’arché ou le principe des choses). Un des mérites du livre de Bensusan est, pour ainsi dire, son économie fabulatrice. En effet, il ne se contente pas de passer en revue les animismes, en les présentant et en systématisant les perspectives de tant d’auteurs sur le sujet ; il les enchevêtre dans une argumentation fabulatrice, nous laissant entrevoir un autre texte où le primitif, le passé, le futur, les cyborgs, les sorcières et les lucioles nous disent ce que nous avons du mal à entendre.
« Mais certaines d’entre nous sont courageuses ». Bensusan nous montre que le courage d’entrer dans un « accord avec la politique des autres », de ces autres non-humains, n’a rien à voir avec le simple respect pour des conceptions animistes d’un « autre humain », les Indiens, les sorcières. À partir de Philippe Descola (p. 59-66) et de Daniel Dennett (p. 47-48), Bensusan soutient que l’animisme implique, bien sûr, une diplomatie et une bonne intention, une bonne intentionnalité, mais cela ne signifie pas une plongée dans le « New Age », dans une spiritualisation ou une sacralisation « de la nature », simple projection anthropomorphique d’un réel prétendument plus original – celle que font les naturalistes modernes sur les Indiens ou les sorcières, en croyant reconnaître dans leurs cultures un simple élargissement de l’humain à la nature. Dans les cas les plus inoffensifs, la perspective anthropomorphique permet une simple fuite du système et, dans sa version politique la plus courante, conserve la nature comme « objet de tutèle » (p. 29) : « […] ce n’est pas que l’environnement qui nous entoure doive être préservé ou que nous devions cesser d’entrer en conflit avec lui, mais il existe une demande de protagonisme qui remet en question la dimension même de la bulle d’animation que nous supposons habituellement » (p. 22).
L’animisme nous conduit directement au croisement de l’ontologie et de la politique et nous oblige à confronter la dissémination des âmes au-delà d’un autre de l’humain, d’un autre (toujours ? Inévitablement ?) conçu à partir de nos catégories humaines. Il s’agit d’« invoquer » cette dispersion, d’être disposé à parler à l’altérité de l’agentivité du nonhumain. L’opposition entre humains et non-humains semble inséparable de l’opposition entre nous (les êtres qui ont l’agentivité, la souveraineté) et eux (qui ne les ont pas). Certes, l’anthropologie, depuis toujours, a souligné de nombreux apprentissages philosophiques, ontologiques, épistémiques et politiques pour les Modernes : ceux que l’on trouve dans les analyses des totems, des dieux, des esprits, des orixás, des chamanes – indices de la complexité du « monde de l’autre » qui nous permet de mieux comprendre « notre monde » à travers de multiples miroirs. Mais le texte de Bensusan nous invite à penser que ces apprentissages ne se feront ni par la supposition de la présence d’un Autre métaphysique, hypostasié, ni par la simple interprétation de ce qui nous est étrange, au sens de l’Unheimlich : l’appellation même de la « pensée à l’état sauvage », par exemple, ne serait-elle pas déjà synonyme de domestication ? L’idée d’une conversation avec le non-humain radicalise la dimension politique et l’omniprésence du problème.
À travers une image, nous pourrions revenir à la question de la paternité, du texte, du mot et de la parole (qui n’est pas par hasard un thème central du livre La Chute du ciel de David Kopenawa et Bruce Albert, mentionné par l’auteur à la p. 63) et penser au lieu où le mot et sa lecture sont inséparables des débris anthropiques qui circulent dans chacun de nos gestes modernes : les restes ou traces de l’ordinateur, de sa toile ou du papier sur lequel est inscrite l’encre, l’encre elle-même, le niobium et toute matière souvent extraite de terres indigènes envahies et dévastées. Une politique du nous est toujours inséparable des matérialités et des intentionnalités, peu importe où nous sommes ou qui nous sommes ; matérialités et intentionnalités qui ouvrent et mélangent les frontières, celles entre l’esprit et la matière, l’humain et le non humain, l’agence et l’inanimé. Mais il ne s’agit pas de traverser des frontières entre types d’entités : « Il ne s’agit pas de séparer les choses les unes des autres, mais de se poser des questions de différentes manières, préférant ne pas parler de frontières, mais de masques, de camouflage, et insister sur le fait qu’il est de la nature de la nature d’aimer se cacher » (p. 48).
Cette ontologie animiste est déjà un différend politique et historique : « Cela semble être une chose du passé d’imaginer qu’il y a une politique à faire avec les loups, les renards, les baleines, les lits des rivières ou les glaciers » (p. 27). Du point de vue des naturalistes, l’animisme, communément appelé « simple anthropomorphisme », serait une chose du passé et aurait été définitivement dépassé par les sociétés modernes. Mais le passé est un récit en dispute perpétuelle pour les Modernes. Dans ce conflit des interprétations, l’analyse des Lignes d’animisme futur gagne une grande intensité politique, à partir de ses deux derniers chapitres, intitulés « Sans lucioles, sans abeilles : l’inanimé sous contrôle et comme catastrophe » et « O sumak kawsay des pirates ». Le désenchantement du monde, en tant que « processus graduel d’aliénation des populations humaines de son environnement », de prolétarisation, de gentrification, de migrations forcées, de colonisation et d’appauvrissement, élimine toutes les négociations possibles dans les relations traditionnelles que l’homme a toujours établies avec la terre, les loups, les baleines et les lits de la rivière, et nous pouvons facilement nous rappeler d’innombrables histoires littéraires qui abordent ce conflit, comme Croc-Blanc de Jack London (les loups), Moby Dick de Melville (la baleine) et O burrinho pedrês, de Guimarães Rosa (le lit de la rivière), où la morale minimale de l’histoire est que des choses horribles se produisent lorsque traiter avec le non-humain dispense de la négociation, de la lutte, de la diplomatie au nom de la domination, de la cupidité, de la possession.
L’animisme n’implique donc pas une simple défense des modes de vie traditionnels : il élargit l’importance des modes de vie « primitifs » ou « dépassés », dans l’idée d’une rupture avec une perspective historique linéaire où les choses, les humains et la planète elle-même sont soumis à un usage et à une propriété sans distinction, sans négociation, sans lutte, sans politique ; ou plutôt sous une politique de violence, de mort et de terre brûlée. Contrairement à la temporalité présupposée par les modernes, le passé, dans le cadre de la disposition des choses non-humaines, de ses dispositions authentiques, revient, n’arrête jamais de revenir (pourquoi l’appel aux ancêtres, où la multiplicité de l’expérience passée est ravivée comme un présent toujours négocié, serait moins « objective » qu’une description génétique ?). Mais le passé revient aussi sous forme de forces non négociables, inaudibles et destructrices contre lesquelles il n’y a pas de digues, d’abris, de techniques, ni même de codes ou de rites de lamentation (notez les histoires frappantes de Tchernobyl racontées par Svetlana Alexievich et commentées par l’auteur).
L’effort des derniers chapitres du livre ne consiste toutefois pas seulement à démontrer la plausibilité et l’urgence de l’animisme en tant que tranchée politique face à la catastrophe (ce qui risque toujours de faire retomber dans la perspective moderne consistant à concevoir la nature comme un élément à préserver pour nous). Il s’agit surtout de penser à la disponibilité (la disposition des choses, dans le dialogue avec le Ge-Stell de Heidegger), à l’usufruit (par opposition à l’utilisation), au territoire (par opposition à la propriété) et au corps en tant que zones de résistance et de recréation du politique. L’animisme performatif proposé par Bensusan ne consiste pas seulement à être attentif à l’agentivité ou aux « véritables dispositions » des choses considérées comme inanimées, mais aussi à la promotion de celles-ci sur le plan politique, en opposant le risque à la survie.
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